Dans ses souvenirs, Charles Morel rappelle les vendanges d'autrefois.
Vendanges dans les années 1930-1945
Peu de
récoltes présentent un aussi riche contraste que les vendanges. Travail
pénible, mais aussi beaucoup de bonheur et de rires...
Une
semaine avant, il faut sortir tout le matériel : tine, brantes, fouloir, seau
en bois. Le tout est arrosé et nettoyé. Dans les années sèches ce n'était guère
évident car le village manquait sérieusement d'eau. On imagine également le
problème des cuisinières. Dès 1948, on a fait de nouveaux captages et la
situation s'est améliorée.
Dès que
le raisin était bien avancé en maturité, on mettait le vignoble à ban. Depuis ce moment, environ trois
semaines avant les vendanges, les vignes étaient gardées par trois gardes armés
de fusils pour effrayer les oiseaux. Plus personne n'était autorisé à entrer
dans les vignes, même pas les propriétaires.
Une ou
deux journées avant la levée des bans, les vignerons qui ne possédaient pas de
pressoir pouvaient vendanger pour presser leur récolte chez un voisin ou un
ami. A cette époque tout était pressé ou pressuré
comme on dit au village. Le commerce achetait le moût.
Oui, les
vendanges étaient pénibles. Avant d'avoir les chemins dans le vignoble, en
1932, tout se portait sur le dos : sulfate, brantes et fumier. Le personnel
aussi devait beaucoup marcher pour arriver à la vigne.
Départ pour les vendanges
Ainsi, le
porteur, la brante au dos fait un long trajet pour arriver près du char où est
placée la bossette, longue futaille de 800 à 1200 litres . Là, il
pose un moment sa brante sur les brancards, deux pièces en bois comme des
poteaux qui supportent la
bossette. Dès qu'il a repris son souffle, ils monte l'échelle
et verse les 50 à 60
litres que contient sa brante. Par une ouverture en haut
de la bossette, il se retourne et voit toute l'équipe des vendangeurs. Si c'est
une bonne année, la récolte est abondante et le rythme s'en ressent. Le
brantard aperçoit déjà un collègue qui quitte la vigne pour le même trajet que
lui. Il comprend alors qu'il doit redescendre au plus vite.
Brantards à l'arrêt autour de la tine pour la photo !
Le
porteur sait se donner du courage, il remonte vers l'équipe des cueilleuses en
passant dans la ligne des plus jolies vendangeuses. La coutume est des plus
intéressantes en effet, s'il découvre une grappe oubliée, il a le droit
d'embrasser la vendangeuse coupable. Cet usage s'appelle le remolage. Parfois, c'était une fille
moins jolie qui avait oublié la grappe et elle avait bien du chagrin en
s'apercevant que c'est sa collègue qui se faisait embrasser... Il en sera
toujours ainsi sous le soleil, même si les us et coutumes du flirt ont changé.
Pendant
les vendanges, les équipes chantent souvent. Si elles sont proches, c'est le
même chant, sinon des airs différents s'égrènent dans les coteaux. Le soir, les
chars avec leurs bossettes sont avancés près de la Tine, grosse cuve en bois de 1000 à 1300 litres . On place
sur la tine deux gros plateaux pour supporter le poids de la bossette. Plusieurs
hommes avec de forts leviers, font tourner la bossette sur la tine. On tire rapidement
la rafle qui bouche l'ouverture de la bossette avec un raclet. Comme la tine
est placée près du pressoir et qu'un glissoir se trouve dans une ouverture du
mur qui donne dans le pressoir, il suffit de verser la vendange avec des seaux
dans le glissoir et le tour est joué!
Le
pressoir est une belle pièce de granit prête à recevoir la vendange. On a placé
dessus des claies d'un mètre de hauteur qui laisseront passer le moût mais
retiendront la rafle. Le
moût coule dans la cuve avec un joyeux clapotis et, rapidement des verres
apparaissent sous le goulot en cuivre. Chacun apprécie. Après le souper, les
vendangeuses envahissent le pressoir, les rires fusent. Le patron, figure
grave, prend la sonde pour juger la qualité de sa production. Il sourit et
annonce 71°oeclé, soit 9 à 10° d'alcool. Si la sonde n'avait pas été généreuse,
il se serait retiré sans un mot.
Soudain
un cri retentit "halte en haut" c'est quelqu'un qui est à l'oeil, il
a vu que la cuve est pleine. Heureusement la pompe à manivelle est prête.
Rapidement la cuve baisse et le tonneau monte. Un gros tonneau qui contient 12'000 litres , soit 3 jours
de vendanges.
Tout est
sur le pressoir, la rafle est égalisée. Une construction s'échafaude : 6 épais
plateaux de la forme de la claie sont posés sur le pressoir, puis, en travers,
quatre grosses poutres en sapin. On y ajoute encore deux grosses poutres en
chêne mortaisées pour bien entourer la vis du pressoir. On fait descendre
l'écrou pourvu de deux grosses brides, où prendra place la palanche en charmille ou en frêne de quatre à cinq mètres de
long.
Pressoir, mais pas celui du château !
On fixe
le treuil au pressoir. Mécanique astucieuse que ce treuil avec des engrenages,
des pignons à deux vitesses et un tour en bois vertical où s'enroulera la corde
fixée à l'extrémité de la palanche.
Tout cela
sera mis en marche, d'abord par un seul homme, puis par deux, à la manivelle.
Quatre
navettes de la palanche font faire un tour à l'écrou. C'est de là que vient
l'expression "j'ai fait un quart".
La rafle
suffisamment serrée, on enlève tout le bois placé sur le pressoir, toute la
masse est brassée avec un fossoir, et on recommence à presser.
A la
deuxième pressée, on enlève les claies corbeilles
et, avec un coupe-foin, on tranche 20 centimètres de
large autour de la motte de marc, on l'émiette sur la motte, on balaie le tour
et dessus sont replacées à nouveau planches et poutres. Après la troisième
pressée, la motte sera sèche. Jusqu'à la fin de la guerre 1939-1945, le marc
était vendu à des paysans du Jura où du Gros de Vaud, pour faire la piquette.
Le marc était trempé dans de l'eau sucrée pendant environ 15
jours. Ensuite, le liquide était filtré et versé dans un tonneau avec un
complément de sucre. Certains vignerons en faisaient aussi. Quand elle était
fraîche, disons jusqu'en mars, cette piquette
était buvable, mais sans plus.
Mon père
faisait du doublé, un tonneau moitié
moût et moitié eau avec 8 à 10 % de sucre. Agréable boisson pendant les travaux
en plein air. Mais, nous avions aussi un tonneau de pur...
Après ces
explications techniques, rejoignons l'équipe au pressoir.
La nuit
est tombée depuis longtemps. On entend dans la cour des cris, des chants, de
l'accordéon. Ce sont d'autres équipes qui viennent nous visiter, boire un verre, comme on dit et inviter
nos jeunes à se joindre à eux pour aller danser à La Croix Blanche. Chez
la tante Elise ,
on danse tous les soirs de vendanges, et ça dure bien dix jours.
Deux à
trois hommes plus âgés restent au pressoir. Ce travail demande un suivi jusqu'à
minuit, puis doit être repris à 5 h du matin.
Dès 1935,
j'ai modifié le treuil du pressoir pour presser avec un moteur à essence.
C'était le même que nous avions comme treuil de vigne.
L'essuie-tine est une farce
traditionnelle, toujours réservée à un jeune garçon. L'essuie-tine, appelé aussi corbeau
est un instrument bien réel. Il est en cuivre, sa forme ressemble au bec
supérieur du corbeau, d'où son nom. Il contient environ deux litres. Lorsque la
cuve est presque vide, on l'incline et, avec ce corbeau, on peut la vider
complètement.
Dans la
nuit, on envoie un jeune avec une hotte chercher l'essuie-tine chez un vigneron éloigné. Dans un sac, le vigneron
met 40 à 50 kg
de cailloux. Le retour est pénible et, à l'arrivée, la nombreuse assistance
hilare fête le héros...Farce diversement appréciée par les victimes...
Dès les
années 1980, les travaux de vendanges se sont transformés, principalement avec
l'arrivée des bacs. Fini le temps des brantes en bois de 50 litres , et le foulage
de la vendange à la vigne, oubliées les caisses en bois de raisins ronds qui
coulaient sur les épaules des porteurs, les années où il y avait de la pourriture. Les
bacs ont remplacé ce matériel.
Depuis le
remaniement, la plupart des vignes sont devenues plus larges. L'espace entre
les rangs a augmenté de plus d'un mètre. Cet écartement donne la possibilité
aux tracteurs de passer entre les rangs pour le travail du sol, les
traitements, le prétaillage et le cisaillage.
Même aux
vendanges, certains passent dans les rangs avec le tracteur chargé d'un bac de
cinq cents à six cents kilos. Ces bacs sont en aluminium ou en polyester. Dans
les vignes très pentues ou étroites, le raisin est porté à la brante jusqu'au
bac placé sur un char en bordure du chemin. Ces bacs sont conduits sur la
place, puis chargés dans des camions avec un chargeur frontal placé devant un
tracteur.
Une
grande partie du personnel des vendanges est formée de frontaliers,
main-d'oeuvre de qualité et très sympathique de surcroît. Chez nous, les
porteurs reçoivent 100 Frs par jour, et les vendangeuses, 80 Frs, nourris
logés. Cela les change des salaires français.
Sur la
place, deux partisseurs enregistrent les chargements. Chaque bac est contrôlé à
l'arrivée pour déterminer sa teneur en sucre. La vendange sera payée en trois
versements.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire