Histoire des pâturages de la
commune d’Arnex ou comment on est passé du libre parcours et des chauchis aux
champs loués et labourés
Depuis
fort longtemps et jusque vers 1800 le territoire agricole de la commune
d’Arnex, était exploité de façon très extensive.
On y
pratiquait l’assolement triennal, le bétail profitait du libre parcours et
pouvait pâturer les chauchis communaux sous la surveillance d’un berger nommé
et payé par la commune.
Assolement triennal
Du Moyen âge
jusqu’au 18ème siècle, l’agriculture de ce canton a très peu évolué,
restant fidèle à l’assolement triennal et pratiquant le libre parcours du
bétail.
Le bétail
pouvait ainsi pâturer des surfaces importantes composées des communs ou
chauchis (prés appartenant à la Commune), des prés après les foins, des champs
après les moissons et des jachères.
Tiré de : Histoire des agricultures du monde. Mazoyer et Roudart
A la même
époque, J. Bertrand, cité par Georges André Chevallaz[1], donne le portrait suivant
du paysage agricole vaudois de 1760 :
Autour de
l’essaim des fermes trapues, groupées de part et d’autre de la rue du village,
ce sont d’abord les enclos des vergers, des jardins et des chenevières,
entourés de haies vives. Plus loin, les labours en parcelles allongées, se
groupent en trois mas d’égale superficie que l’on nomme sole ou « fins de
pie », passant alternativement par les trois phases de l’assolement
triennal.
La première
sole est semée en graines d’automne, ou « gros grains », froment,
seigle ou méteil.
La seconde
est invêtue en avoine, orge, en autres « menu grains » ou en légumineuses.
Enfin la
troisième sole se repose de ses deux ans de production. « Jachère »
ou « sémorailles », ameublie, aérée, purgée d’une partie de son
ivraie par quatre labours successifs, pâturée dans l’intervalle, elle se
prépare à recevoir à l’automne, le blé qui marquera le début d’un nouveau
cycle.
Les trois soles du territoire de la commune
Cette
description correspond assez bien au territoire d’Arnex. Dans notre cas, les
soles suivantes sont décrites dans les actes du procès de 1814 concernant l’abolition
du libre parcours. Ce procès sera raconté à la fin du présent chapitre.
On y
trouve :
o
la première
sole, qui comprend la Fin
de Brion, Perrevuit et Longeraye ;
o
la deuxième
sole, appelée la Fin
sous l’Etang avec le Ruz d’Otoz, en Borboz et en Jugny ;
o
La troisième
nommée la Fin du
côté d’Orbe. Actuellement, lorsqu’on cite un champ situé « En bas la Fin », c’est de cette
fin-là qu’il s’agit.
Ainsi,
chaque année, les agriculteurs sèment les mêmes cultures dans leurs champs
situés sur la même sole. Il faut donc disposer de terrain dans ces trois
parties de la commune.
Si ce
système, dont nous verrons les inconvénients plus tard, a subsisté si
longtemps, c’est qu’il comportait un certain nombre d’avantages : pour
l’autorité chargée de prélever la dîme des moissons, toutes les parcelles sont
situées dans le même territoire. Il est aussi plus facile de laisser pâturer le
bétail sur des jachères groupées au même endroit. En effet, deux jours après
les moissons, les champs sont ouverts à la pâture. Les glaneuses ne
disposent que de très peu de temps pour leur quête des épis oubliés !
Comme il en allait parfois au temps
jadis, en 2006 la Fin
du côté d’Orbe est presque toute en céréales
Sur cette photo de l’été 2006, la troisième sole du territoire communal se retrouve
presque complètement en céréales, qui, compte tenu de la diminution du bétail,
ont remplacé une bonne partie des prairies.
Les prairies et le passage à Clos et Record
De façon
assez étonnante, dans les temps anciens, seul le foin, soit la première récolte
des prairies, appartient au propriétaire. Celui qui désire profiter de la
seconde coupe, soit les regains, appelés Records,
ne peut le faire sans s’acquitter d’une taxe versée à la commune.
En payant
plus, il fait passer son pré dans la catégorie à Clos et Record, ce qui lui permet de profiter de toute la récolte
et d’interdire le pacage du bétail des autres sur sa parcelle.
C’est ce que
fait par exemple Fréderich de Chaillet en 1778 pour quatre poses au Champ
dernier les Lattes, pour la somme de 90 florins, payés comptant. L’acte
mentionne :
Le Noble de
Chaillet pourra dans la suite recueillir et appliquer à son profit toutes les
prises de foin, record et regain, sans que sous aucun prétexte la Commune ni autre
particulier puisse y faire paître aucun bétail.
Plus de
détails sur Fréderich Chaillet voir :
Acte de
Passation à Clos et Record pour Fréderich de Chaillet
Pour ceux
qui ont moins de liquidités, la chose est possible sans qu’ils aient à verser
de capital, mais en payant chaque année un intérêt à la bourse communale.
Intérêts des passations de pré à
clos et records dans les comptes de 1719
Les cloisons
Avec ce
bétail plus ou moins bien gardé, qui se promène sur presque tout le territoire
communal, il est nécessaire d’ériger des murs ou des cloisons pour protéger les
vignes et les autres cultures.
Ces haies ou
cloisons ont laissé leur nom à quelques lieux-dits :
o
Sous les haies pour une vigne ;
o
une delaise est une porte à
claire-voie appelée aussi clédard ; en 1716 la commune achète une douzaine
de coignées (haches) pour faire des delaises ;
o
Champ des Lattes : barrière de protection
contre le bétail ;
o
un Breuil est un pré, souvent humide et
probablement clôturé.
A propos du
Breuil, il est noté dans la
Reconnaissance générale des usages de la Terre de Romainmôtier de
1499, qui règle les relations entre le monastère et ses propriétés :
que tout
attelage d’Arnex est tenu d’amener du pré du Brueux à la grange du Seigneur
d’Arnex quatre chargements, avec ses propres animaux de trait, l’on doit quatre
miches de pain à chaque attelage faisant charroi.
Le bétail et les bergers
Comme on
vient de le dire, le bétail est conduit à la pâture de façon collective. Dans
un règlement communal de 1741 prévu pour la commune d’Apples, le bailli précise
à l’article 24 que :
Qui que ce
soit ne fera son troupeau a part, mais mettra son bétail sous la verge du
Berger commun à peine de Chatiment et des Bamps (amende) et ordonnons aux messeillers et à tous les Communiers de rapporter
ceux qui contreviennent à cet article.
En 1744,
n’ayant pas respecté cette règle, Jean François Gauthey (1681-1764) est cité en
Cour baillivale.
Le 18 mai
1744 comparaît :
Jaques
Antoine Gilliard en qualité de Gouverneur de l’honorable commune d’Arnex
accompagné du sieur Etienne Olivier contre Jean François Gauthey justicier du
dit Arnex demandant qu’ensuite du mandat qu’ils ont obtenu en date du 12 mai,
il ait à dire les raisons en vertu desquelles il fait un troupeau à part d’une
partie de ses vaches au dit Arnex.
Pour sa
défense le Sieur Gauthey cite la
Loy 42 f : 161 qui règle la Pâture du bétail entendant
que s’il y a quelques bêtes boiteuses ou vaches portantes, il doit s’adresser à
la Commune
pour leur demander de pâturer à part, alors la Commune y aura égard.
Le Bailli
accepte l’argument, mais, comme ledit Gauthey aurait dû, au préalable, demander
une permission à la Commune,
il est condamné aux frais, non sans modération.
Les bergers
Afin de
garder les troupeaux de vaches, de bœufs, de chevaux, de chèvres, de brebis ou
de cochons, la commune engage chaque année des bergers dont elle paye le
travail et la froche (l’habit). Mais est-ce vraiment à la commune d’assumer
cette charge ? En 1816, le Juge de Paix qui vérifie les comptes d’Arnex
n’est pas de cet avis et fait remarquer que ce n’est plus à la commune de payer
le salaire des bergers.
Quant aux habitants, c'est-à-dire les non
bourgeois qui possèdent du bétail, ils sont astreints à une taxe pour faire
pâturer leurs bêtes.
Les taureaux
La commune
prend aussi en charge l’achat des taureaux, qui proviennent parfois d’autres
communes : Chevilly, Bofflens, Premier, Rances, Pailly, etc.
Mais
certains ont une triste fin, tel ce pauvre taureau malade, qui en 1772 expire
malgré toute la soupe à l’orge dont il est gratifié ou celui qui périt au
marais, ainsi que le relatent les quelques lignes ci-dessous tirées des comptes
de 1753 :
La mort du taureau au pâturage du
marais en 1753
Terrains disponibles pour le bétail
En plus des
jachères et des champs moissonnés, les troupeaux pâturent aussi les Chauchy ou Chauchi, qui sont de grands pâturages, propriétés de la commune.
Les trois plus importants sont ceux de Bulande, de Sangolin et de Saugettes.
Ces chauchis sont à l’origine des propriétés communales situées en ces
lieux-dits.
Mais mal
drainés, parfois recouverts de buissons, ils sont souvent exploités de façon très
extensive.
Vers 1821 certains
citoyens, considérant cela comme un gaspillage de terres, interviennent par
pétition pour demander à la Municipalité que ces chauchy soient partagés en
parcelles pour être mises en location.
Ce qui sera
accepté beaucoup plus rapidement que l’abolition du libre parcours comme
expliqué en détails ci-après.
Les chauchis de Bulande, de Sangolin
et des Saugettes avec le Marais
Un autre
grand pâturage se trouve au marais, dont une partie, la moins humide, est misée
pour son fourrage et le reste pâturé.
Cette façon
de nourrir le bétail, tant sur les jachères que sur les pâturages communaux,
convient à ceux qui disposent de grands troupeaux, mais de peu de terrains.
Mais ce système agraire freine toute tentative d’amélioration de la production
fourragère.
Pourquoi
investir dans la création de prairies artificielles bien plus productives, si
c’est pour y voir pâturer les vaches du voisin ?
L’abolition du libre parcours
Au début du
18ème siècle déjà, certains esprits éclairés constatent que
l’assolement triennal et la pratique du libre parcours pour le bétail bloquent
tout progrès agricole.
Vers 1750,
Elie Bertrand, pasteur d’Orbe, cité par Auguste Verdeil, dénonce ainsi cette
situation :
Dès que nos
champs sont moissonnés, ou du moins deux jours après l’entière récolte du
Confin, on y mène selon la loi paître le bétail. Et même on ne permet point au
propriétaire de labourer tous ses champs ; il doit en laisser une partie
pour être pâturée.
Il ne peut
ainsi donner à ses terres leurs façons pour les grains d’automne et il est
obligé de les laisser pour y semer des mars l’année suivante.
Il poursuit
à propos des pâturages communaux :
Un autre
obstacle à la production des céréales est la quantité des pâturages communs.
Cent poses
pâturées en commun, suivant la pratique de quelques lieux, ne font pas le
profit que feraient vingt fermées sur ces cent poses…
À la même
époque, Seigneux de Correvon blâme également le pâturage commun en ces
termes :
Quelle
différence entre ces champs sujets au parcours, et les champs dont le maître
étend ou restreint la culture durant l’année à son gré !
Semant
tantôt en herbe artificielle, tantôt en grains, ce maître se fait une rente par
la seule variété des productions de ses champs, et en peu de temps, par de
bonnes cultures, par l’emploi des eaux voisines, ces champs pourraient devenir
des fonds, qui après avoir coûté deux à trois cents francs, vaudront mille
francs la pose.
Le même
Seigneux de Correvon propose de nouvelles cultures :
Mais, dit-il, ces nouvelles cultures sont impossibles, tant qu’existera le
parcours ; car ce ne sera que lorsque le parcours sera aboli, que le
cultivateur pourra dire : ce champ est à moi…
La transition
En 1591
déjà, LL.EE tentent par un édit de favoriser la passation à clos et record des
prés, mais sans beaucoup de succès. Le 13 février 1717 paraît un nouvel édit
reproduisant celui de 1591, sans beaucoup plus de résultats.
La loi vaudoise du 12 juin 1805
En 1805, le
nouveau canton, qui vient d’avoir deux ans, va tenter de réaliser ce que le
régime bernois n’a pas pu atteindre en matière d’abolition du parcours et, le
12 juin 1805, le Grand Conseil du Canton de Vaud, sur proposition du Petit
Conseil, déclare :
Considérant
qu’une longue expérience a démontré que l’exercice du parcours est nuisible aux
progrès de l’agriculture, et par conséquent à l’augmentation du produit du sol,
Décrète :
L’article 3
précise :
Cet article
3 est important, car, pour prendre une décision il faut savoir précisément
:
o
qui est
vraiment le propriétaire ;
o
comment sont
délimitées les soles sur une commune.
Toutes ces
questions deviennent essentielles quand les deux camps à s’affronter, ceux qui
sont pour l’abolition du parcours et ceux qui sont contre, sont de force
presque égale. C’est le cas à Arnex durant les années 1814-1815.
La guerre des pâturages de 1806 à 1815 dans la commune
d’Arnex
Pour ou contre l’abolition du parcours
Durant neuf
ans cette question met tout le village en ébullition. Il nous a paru utile d’en
citer les principales étapes pour bien montrer l’importance de cette
transition.
Le début du conflit
Les faits
remontent à 1806 déjà. Dans les procès-verbaux du Tribunal cantonal du
contentieux du 17 juin 1807, on relève :
Lecture est
faite d’un mémoire de la
Municipalité d’Arnex qui se plaint que le citoyen Georges
Monnier le jeune, propriétaire d’un pré dans le mas dit au Perrevuit sur lequel
la dite commune exerce un droit de parcours en vertu d’anciens usages veut
maintenant, en se fondant sur la loi du 12 juin 1805 qui abolit le parcours
jouir exclusivement de son fonds sans se conformer aux conditions exigées à ce
sujet par la susdite Loi,
malgré que Instante n’ait point voulu faire usage de la faculté accordée par
cette Loi, d’abolir le parcours sur son territoire.
La
Municipalité Instante conclut à
ce que fut prononcé qu’en 1806 le citoyen Georges Monnier le jeune ne pouvait
pas jouir de tout le produit de son pré.
Elle conclut
aussi aux dépens.
D’un autre
côté, le Mémoire en réponse du citoyen Georges Monnier qui oppose à la Municipalité Instante,
d’un côté son défaut de vocation et de l’autre la loi du 12 juin 1805 dont les
articles qui règlent le mode à suivre pour l’abolition du parcours dans le cas
actuel sont de pure faculté et nullement obligatoire et conclut en conséquence
à la libération avec dépens de l’action que lui a intenté la Municipalité d’Arnex
Décision du tribunal :
Ces Mémoire
et Contre Mémoire ayant circulé chez les membres du Tribunal, mûrement été
examinés, et le jugement de cette cause appointé à ce jour. Le Tribunal arrête :
La Municipalité d’Arnex est éconduite des fins de
sa demande et condamnée aux dépens.
Si le
Tribunal ne donne aucune raison pour motiver sa décision, il aura d’autres
occasions de s’occuper des problèmes de la commune d’Arnex, comme nous allons
le voir.
Nous
ignorons ce qui s’est passé entre 1807 et 1813, mais dès 1813 et sans doute un
peu avant, le problème de l’abolition du parcours reprend toute son actualité.
Les Défenseurs
et les Demandeurs, une lutte sans
merci pour obtenir la majorité
Deux clans
vont se former dans le village et s’affronter très durement entre 1814 à 1815.
Le clan des Défenseurs demande le maintien du libre
parcours, il est représenté par Abram Monnier (1772-1862), syndic, et Samuel
Gauthey, secrétaire de la
Municipalité.
Celui des Demandeurs, partisans de l’abolition du
parcours, est emmené par Georges-Louis Monnier ; dans leurs rangs se
trouvent Charles de Lerber, Louis de Joffrey-Thomasset et une trentaine de
propriétaires.
Le 27 avril
1814, le Tribunal du contentieux prend connaissance d’un mémoire des citoyens
Georges-Louis Monnier et consorts estimant être propriétaires de la majorité et
demandant que le parcours soit aboli sur le territoire de la Commune d’Arnex.
D’un autre
côté figure un mémoire d’Abram Monnier, Syndic.
Le tribunal
constate que la conciliation n’a pas eu lieu. Le citoyen syndic Monnier est
débouté.
L’intervention du Petit Conseil
Le Petit
Conseil (Conseil d’Etat), par lettre du 18 août 1814, demande une réunion des
propriétaires sous la présidence du juge de paix du Cercle de Romainmôtier, M.
Perreaud.
Cette séance
est fixée au 9 octobre 1814, mais les propriétaires n’en sont avertis que le
matin « par le Sergent de la dite Municipalité ». En début de séance,
pour tenter de trouver un compromis, le juge de paix propose d’abolir le
parcours pour une période d’essai de six ans, afin de voir si cette abolition
serait avantageuse ou nuisible.
Sur 142
propriétaires, 105 sont présents. 51 votent pour et 54 sont contre l’essai
d’abolition. La proposition du Juge de paix étant rejetée pour l’ensemble du
territoire, elle est ensuite discutée pour les sept portions du territoire.
Mais ici aussi, avec des scores plus ou moins serrés, l’abolition du parcours
est chaque fois rejetée.
Suite de la bataille en 1815
Les Demandeurs ne vont pas s’avouer battus
pour autant. Au début 1815, ils présentent un nouveau mémoire au Tribunal du
contentieux de l’administration vaudoise. Voici le début de ce mémoire de six
pages, avec 18 pièces annexées :
Très honoré
Monsieur le Président et Messieurs.
Deux partis
depuis trop longtemps existent à Arnex, celui des puissants et des riches et
celui des pauvres et des faibles.
Ceux-là
voyant dans la conservation du pâturage une source gratuite d’enrichissement
pour leurs familles. Ceux-ci n’y trouvant qu’un aggravement de misère et un
grand obstacle à la prospérité générale. C’est la lutte de l’égoïsme contre le
bien public. Il est utile qu’elle finisse, le bon ordre l’exige, la loi en
fournit les moyens et vous avez, Messieurs, le pouvoir de l’ordonner.
Il y a dans
cette commune six cents poses de champs et davantage. Le tiers en est condamné
à demeurer en friche chaque année, soumis à la dent des moutons. Que des mains
industrieuses ensemencent ces deux cents poses en fourrages artificiels, on y
recueillera au moins 150 chars qui nourrissant, engraissant, multipliant le
bétail fourniront les engrais qui doubleront par la suite les récoltes en vin
et en grains de ce terroir.
Les Demandeurs constatent également que
toutes les communes avoisinantes ont aboli le parcours et ils regrettent la
façon très extensive avec laquelle est cultivé le territoire d’Arnex. Ils
notent que, suite à la décision du Tribunal du 22 juin 1814 renvoyant les
acteurs à mieux agir et croyant ainsi que le parcours n’était pas supprimé, les
défenseurs ont lancé leurs bestiaux
sur les cultures, jusque sur les pommes de terre dont le pauvre avait investi
son champ. Il y a eu des fêtes bruyantes et des bravades dédaigneuses.
Quant à la
séance du 9 octobre 1814 présidée par le Juge de Paix, les Demandeurs constatent que la convocation le matin même n’était pas
correcte, empêchant plus de trente propriétaires d’être présents.
Ils
dénoncent donc ces faits auprès du Juge de paix et donnent une nouvelle liste
de signatures des partisans, prouvant qu’ils possèdent bien la majorité.
Ils
demandent donc en conclusion l’abolition du parcours.
Le contre mémoire des défenseurs
En
vingt-sept pages les Défenseurs vont
donner leur point de vue.
Ils accusent
les Demandeurs d’avoir par trois fois
grossi la liste des personnes de leur bord ; ils posent la question de la
possibilité de voter pour les propriétaires habitant une autre commune ;
ils souhaitent également que lorsque du terrain est exploité en indivis, tous
les héritiers puissent voter et non pas un seul.
On le voit,
quand les majorités sont difficiles à atteindre, tous les moyens sont bons pour
ajouter ou retrancher une voix...
Un neutre dans la bagarre…
Dans son
attestation du 16 décembre 1814, Jaques Baudat déclare :
Nous les
soussignés voulant éviter tout désagrément et difficultés quelconques dans les
débats qui vont s’élever au sujet des parcours, déclarons par la présente
vouloir rester absolument neutres dans cette affaire et voulons que nos
suffrages ne puissent être comptés ni pour ni contre dans toute délibération ou
décisions quelconques qui dès à présent pourraient avoir lieu à cet égard.
Signé :
Jaques Baudat
Les décisions du Tribunal
Le 8 mars
1815 le Tribunal prend connaissance des deux mémoires et les transmet au juge
de paix pour vérification et rapport. Le 12 avril 1815, après avoir pris
connaissance du rapport du 23 mars fourni par le juge de paix, le
Tribunal arrête :
Les acteurs sont maintenus aux
bénéfices des conclusions de leur demande ; en conséquence l’abolition du parcours sur les fins de
Brion-Perrevuit-Longeraye, sous l’étang et du côté d’Orbe est prononcée.
En outre le Tribunal a désapprouvé
le ton peu mesuré, ainsi que les insinuations personnelles déplacées que les
défenseurs ont accumulé dans leur mémoire !
Pour Arnex
le problème est donc réglé par cette décision ; dans d’autres communes le
parcours se maintient encore quelques années.
On cite le
cas de Cronay où en 1837 le parcours n’est toujours pas aboli. Comme ces cas
sont encore nombreux, le Conseil d’État se voit contraint de légiférer à
nouveau. Il le fait par la loi sur l’abolition du parcours du 5 février 1842,
qui interdira définitivement le parcours, ainsi que le stipule son article
premier :
Le pâturage
sur les fonds d’autrui, communément appelé parcours, dont en vertu d’anciens
usages jouissent les habitants d’une commune sur les terrains clos ou non clos,
les mas de pré, les soles ou fins de pie, et en général les immeubles
quelconques situés dans le territoire de cette commune est aboli.
Ce
changement important permet enfin à l’agriculture de prendre un nouvel essor,
grâce aux prairies artificielles qui vont remplacer les jachères, grâce à
l’amélioration des productions animales et à l’introduction de nouvelles
cultures : pommes de terre, colza et betteraves à sucre, etc., ceci pour
le bien de tous.
Le pâturage
du bétail sera bien surveillé par les gardes-champêtres, qui peuvent commencer
à gager le bétail pâturant chez le voisin ; leur métier ne sera pas de
tout repos.
En 1917,
l’un d’eux est injurié par le domestique d’Henri et Louis Morel, qui avaient
des vaches aux champs après 19 heures. Les mêmes sont aussi amendés pour avoir,
en automne, laissé du bétail trop longtemps au Fond des Vaux. En effet la Municipalité fixait
une date limite pour la pâture d’automne.
Un
prochain article relatera comment peu après, à partir de 1821, les chauchis ou
pâturages communaux seront loués par parcelles aux agriculteurs bourgeois du
village.
[1] Georges-André Chevallaz, Aspects de l’agriculture vaudoise à la fin
de l’Ancien Régime : la terre, le blé, les charges, Lausanne 1949.