Arnex posède un bout du marais de la plaine de l’Orbe
Actuellement, environ 76 hectares du marais
de la plaine de l’Orbe se trouvent sur la commune d’Arnex. Le marais jouxte
quatre autres communes : mais dans cette région d’accès difficile, les
limites communales entre Arnex, Orbe, Chavornay, Bavois et Pompaples ont été
souvent modifiées, parfois après de longs conflits, parfois plus sereinement
après des remaniements parcellaires comme ce fut le cas avec Pompaples en 1947.
Le marais rapporte
Très longtemps, ces terrains humides
et mal drainés ne sont que des pâturages exploités en commun. Une grande partie
du marais est aussi misée, comme le montre cet extrait des recettes communales
de 1860 :
Vente des récoltes
Noix, poires sauvages et
pruneaux du bord des chemins sont vendus, mais leur rapport est peu élevé, à
peine septante batz.
Fourrage et pâturage
Jusqu’en 1872, le fourrage et
le pâturage sont les principaux apports du marais aux finances de la commune.
En 1807, 132 chevaux sont en
pension et coûtent 4 batz chacun à leur propriétaire (qui peut en avoir jusqu’à
six), ce qui n’est pas très cher : ce prix de pension correspond à deux
demi-journées de travail pour la commune. Déduction faite des 128 batz versés à
François Bonzon, le berger de nuit, il reste 400 batz ou 100 florins pour la
caisse communale.
En 1828 est construite la
bergerie. Son loyer est fixé à 25 fr. du 1er avril à la Saint-Martin.
En 1874 la Société de bergerie (le contrat
est signé par Auguste Bonzon, président de la bergerie) loue à la commune, durant tout le temps que les moutons
peuvent paître, le grand marais du côté de Pompaples pour 50 fr. ; la
commune se réserve toutefois le droit de faire miser ce que les moutons auront
laissé, soit le roux.
Extraction de la tourbe
Le 24 avril 1864, le Conseil
général charge la Municipalité
de présenter un rapport détaillé sur les diverses manières d’exploiter la
tourbe et de calculer le prix de revient du moule. Le 1er juin, le
Conseil accepte le préavis municipal qui stipule :
La tourbe devra
être extraite avec un louchet loué au Comte Dunin. Louchet qui sera à la charge
de l’entrepreneur.
Le Conseil demande également
que la soumission pour l’exploitation de la tourbe se fasse dans la localité.
En février 1865, le Conseil
renonce à exploiter la tourbe du marais ; mais sept ans plus tard, ce même
Conseil autorise l’achat d’un louchet.
Et le 28 avril 1872 la Municipalité fixe les
conditions de l’exploitation de la tourbe :
1° La tourbe devra être
arrachée pour le 10 juin 1872 et devra être reconnue quand elle sera sèche.
2° Le payement s’effectuera le
1/3 quand elle sera arrachée et le restant lorsqu’elle sera reconnue sèche par la Municipalité. La
tourbe devra être arrachée à vent du fossé déjà ouvert.
3° Si la tourbe n’étoit pas arrachée à l’époque
fixée ci-dessus, il seroit fait un rabais de 1 franc par moule qui resteroit à
arracher et par jour de retard.
Les soumissionnaires choisis
sont François et François feu Louis Monnier, qui proposent 10.50 fr. par moule ;
le 22 mai 1872, la Municipalité achète un louchet d’occasion pour la
somme de 300 fr.
En 1873 ce sont François
Baudat et Louis Gozel, soumissionnant pour 6.50 fr. par moule, qui emportent le
marché. Revendant la tourbe à 7 fr. le moule, la commune ne fait pas de
bénéfice. En 1874 l’exploitation continue avec Emmanuel Baudat et Samuel Bonzon,
mais le contrat devient plus précis. Il en va de même en 1875, avec un prix en
baisse : 3 fr.75 pour l’exploitation et 4 fr.50 à la vente. En 1877 le
prix d’exploitation est fixé par mille mottes.
Cette source de combustible
est peu à peu abandonnée, mais la pénurie de charbon due à la guerre de 1914-18
relance son exploitation.
Ainsi, en 1917 une société
romande, par l’entremise de M. Benjamin Laurent, ingénieur à Chavornay,
souhaite louer, voire acheter, une certaine surface du marais pour exploiter la
tourbe. La Municipalité formule des propositions, tant de
location que de vente. Finalement, le contrat passé avec M. Laurent est annulé
par l’Etat, puis finalement repris pour 5 ans par la Société suisse de la
tourbe (STG).
En 1918, ce sont 11'000 m3 de
tourbe qui sont prélevés, rapportant ainsi 11'847 fr. à la commune. En
novembre, le Département de l’économie juge que le Marais Neuf est impropre à
cette exploitation et demande sa mise en culture, ce que conteste la commune
qui estime ces terres plus propices au pâturage : les propriétaires de
bétail d’Arnex ont besoin du fourrage des marais.
En 1919, seulement 4'489 m3 sont
extraits, et en 1921, la
Société résilie son contrat. Fort fâchée de cette dérobade,
la commune d’Arnex, à l’exemple de celle de Chavornay, exige une indemnité de
25'000 fr. Après expertise, elle ne touche que 1'000 fr. pour rupture de
contrat et 50 fr. par hectare pour le hersage et le roulage des parcelles où la
tourbe est restée.
Le canal du Rhône au Rhin
Ce canal, développé dès 1635
et prolongé par la cluse d’Entreroches, permettait d’atteindre Cossonay. Achevé
en 1648, il a fonctionné jusqu’en 1829.
Il ne sera jamais prolongé
jusqu’au Léman, car l’amélioration des routes le rend de plus en plus
déficitaire. Le coup de grâce est donné en 1829 par l’effondrement du pont-aqueduc
du Talent, lors d’un violent orage qui signe son arrêt de mort.
L’arrivée du chemin de fer de
Morges à Yverdon en 1852-1853 le rend obsolète. Une partie du canal est même
comblée par les déchets du tunnel du Mormont. Mais le projet n’est pas
compétemment abandonné : ainsi, en 1957, le canton de Vaud fixe un plan
d’extension pour ledit canal.
Plan d’extension de 1957 pour le canal du Rhône au Rhin
Ce plan d’extension est aboli
en 2006 par décision du Grand Conseil. Les partisans du canal sont déçus, mais
certaines communes sont heureuses de pouvoir utiliser ces terrains où toutes les
constructions étaient bloquées jusqu’alors.
Abram Monney, commis du port du Talent.
Un ancêtre des Monnier
d’Arnex, Abram Monney (1656-1710), a travaillé comme commis au port du Talent
(écrit Thallent) à Chavornay. Il y épouse d’ailleurs une dame Suzanne Lombardet
et leurs enfants sont baptisés à Chavornay de 1694 à 1705.
Les commis organisent et
surveillent les transports et en tiennent la comptabilité ; celui du port
d’Entreroches tient même une auberge.
Les coûts occasionnés par le marais
La rétribution du berger et
l’entretien du marais sont à la charge de la commune.
Le berger
Les pâturages exploités en
commun sont gardés par un berger.
Ainsi, en 1738, Georges
François Michelot, gardien des chevaux, reçoit, outre sa soufferte [taxe prélevée auprès des non bourgeois
pour habiter le village], 23 florins et 3 sols pour son travail, plus
une livre de tabac.
En 1720 est construite la
cabane du marais destinée à abriter le berger, cabane où se réfugient parfois
des mendiants : en 1807, il faut payer leur transport en char vers Orbe
pour se débarrasser d’eux !
En 1911, sans qu’on en sache
la raison, le gouvernement français interdit l’estivage du bétail suisse sur
son territoire. Pour y suppléer, le 30 mai, la Municipalité propose au Conseil de créer un
pâturage sur le Marais Neuf et le Petit Marais et d’y construire un chalet au
prix de 3'200 fr. Prudent, le Conseil repousse le projet : la saison est
trop avancée et il faut attendre la décision du gouvernement français pour l’an
prochain. Le chalet ne fut jamais construit.
Entretien des marais et des accès
Les comptes de la commune
énumèrent les différents travaux nécessaires, notamment pour évacuer l’eau.
Ainsi, en 1774, sont versés :
6 batzes aux 60
personnes qui ont émondé des saules pour le marais.
Livré 23 florins
à Abram Pérusset de Baumes pour une douzaine d’éplatons pour faire les ponts.
9 batz à Abram
Devenoge pour les voiturer de Baumes à Arnex
2 florins et 6
batz au gouverneur pour deux voitures tant éplatons que sarments depuis le
village au marais
2 florins au
gouverneur pour avoir mené les clédars au marais et ramené en automne.
On paie encore quelques
personnes pour curer les fossés, couper des fives et des dailles et faucher le
fossé entre Chavornay et Arnex.
Parfois il faut intervenir
auprès des communes voisines et leur demander de curer correctement leurs
fossés, afin d’éviter des inondations en amont. En 1702, Arnex reçoit copie
d’une lettre envoyée par Chavornay, demandant à la Commune d’Orbe de bien
vouloir nettoyer le fossé de la Thoisle ou Nizon. Et
le 22 avril, une délégation des deux communes exprime ses doléances au Conseil
d’Orbe. La même année, des terraillons reçoivent cinq kreutzer (1.25 batz) par
toise [environ 3 mètres] pour nettoyer le fossé qui sépare le marais de
Chavornay de celui d’Arnex. Le fossé mesure 133.5 toises, ce qui fait environ 400 mètres.
Mais en 1745, il faut à
nouveau intervenir auprès des gens de Chavornay, qui négligent leurs ruisseaux.
Quant aux différents ponts
permettant de franchir rivières et fossés, il faut les entretenir constamment,
voire les remplacer quand ils sont emportés par les crues. Au fil des ans, que
de factures pour des poutres ou des planches !
Et enfin, les chemins sont peu
stables : il semble qu’on doive y étaler des branches ou des sarments pour
les rendre carrossables.
Les travaux d’assainissement du marais au XIXème et au XXème
siècle
Pour la plaine de l’Orbe, les
grandes améliorations débutent après la 1ère correction des eaux du
Jura, de 1868 à 1891, qui permet d’abaisser le niveau des lacs de 2.4 mètres ;
la 2ème correction, de 1957 à 1973, abaisse encore ce niveau d’un
mètre.
Il faut rappeler qu’avant ces
corrections, le niveau des trois lacs pouvait varier de quatre mètres durant
l’année.
Vers les années trente sont
refaites les berges du Canal oriental et celles du Nozon.
Le Syndicat d’améliorations foncières de la partie supérieure de la Plaine de l’Orbe
Le 16 septembre 1941, sous la
présidence d’Arnold Lavenex, le Conseil général accepte d’adhérer à ce Syndicat
d’améliorations foncières. De 1941 à 1947, ce projet ambitieux modifie
complètement cette région, tant par le remaniement des parcelles et les
drainages, que par l’amélioration des routes : on redresse celle qui relie
Orny à Orbe, et on en aménage une nouvelle, conduisant à Bavois, à partir du
bas de la Cherreyre.
Mais en matière de drainage
des terrains tourbeux rien n’est jamais définitif. La minéralisation
progressive de la tourbe dans les terres labourées abaisse peu à peu le niveau
des sols et les drains finissent par être plus bas que le Nozon.
Dans les années 1980, pour
maintenir les cultures de cette zone, il faut changer de stratégie et pomper
l’eau des drainages pour la déverser dans le Nozon ou dans les canaux. Et les
fortes crues de cette rivière ont parfois inondé les parcelles communales,
comme ce fut le cas en 1990.
Inondations du printemps 1990
En effet, ainsi que l’écrit en
2006 J.-F. Jaton, chef du Service des eaux :
Compte tenu de
la nature tourbeuse des sols, la plaine de l’Orbe s’enfonce peu à peu. Cela
rend difficile, voire impossible par endroits, la gestion des crues et la
prévention des inondations. Cette situation menace le développement local. Plusieurs
études conduites par le Service des eaux ont démontré que ces problèmes ne
sauraient être résolus par des solutions ponctuelles et purement hydrauliques,
qui coûteraient trop cher, et que le maintien d’activités agricoles dans la
plaine ne saurait être garanti à l’avenir sans revoir les problèmes
hydrauliques et environnementaux dans leur ensemble.
Maintenir les cours d'eau du Nozon
Le courant étant faible, peu à peu les alluvions comblent le lit de la rivière.
Il faut régulièrement procéder à un curage.
Curage du Nozon en mars 2020 Phot J. Morel
Le
marais fait rêver
Au cours des ans, il est étonnant de relever le
nombre de personnes intéressées par l’exploitation des diverses ressources du
marais.
Le nitrate de soude
En 1908, un certain M.
Montbaron souhaite réaliser des travaux dans le marais afin d’en extraire des
produits chimiques, puis de rendre le terrain de nouveau propre à la culture.
Le Conseil renvoie cette demande à la Municipalité pour étude et rapport. Au mois de
juillet 1908, M.
Montbaron vient en personne expliquer qu’il a l’intention d’extraire du nitrate
de soude et demande pour cela une concession de 20 ans. Le Conseil donne son
accord sous réserve de garanties suffisantes. Il n’a pas tort, car, en décembre
1908, on apprend que le sieur Montbaron est en prison. L’extraction du nitrate
de soude s’arrête là.
Le pétrole
À propos de ces forages, le seul
souvenir conservé dans les Archives communales figure dans le procès-verbal du
18 mai 1929, où la
Municipalité note simplement :
Pétrole,
Sur demande de la compagnie
pour la recherche du pétrole au lieu dit Aux Sayennes, l’autorisation lui est
accordée de travailler le dimanche.
En effet, en 1929, comme à
Chavornay en 1912, des forages sont entrepris au Pré Bertrand pour chercher du
pétrole sous la tourbe.
On peut lire les propos
suivants dans l’ouvrage Images et
événements vaudois 1900-1945, 1929, page 130 :
M. F. Bourqui,
sourcier, a eu la chance de voir ses recherches aboutir. Près d’Arnex, il
découvrit une poche, produite par l’affaissement de la poche jurassique. Une
société s’est formée, et un appareil complet de forage a été fourni par une
maison de Paris. En descendant de la colline d’Arnex, on découvre une tour de
bois, qui domine un baraquement bas et long : un puits et la machinerie. A deux
pas une autre bâtisse, en planches et tôle ondulée, sert, à la fois, d’atelier
de réparation et de bureau de travail.
La profondeur atteinte
est actuellement de 256
mètres, et la couche de sable pétrolifère doit être
proche ; les recherches faites semblent près d’aboutir. L’intérêt de cette
découverte, qui pourrait transformer notre économie nationale, est énorme.
Déjà de
nouvelles demandes sont faites pour obtenir la concession de gisements dans le
nord du canton de Vaud.
On n’en saura pas plus. D’autres
sources précisent le nom de la
Compagnie : Bourqui,
Müller et Cie, et la profondeur
atteinte : 302
mètres.
Fort heureusement, les archives
Decollogny d’Orbe sont plus riches sur ce sujet. Elles conservent une carte
postale immortalisant l’évènement, ainsi que plusieurs coupures de presse. On y
découvre par articles interposés une violente controverse entre Florian Bourqui,
initiateur de ce forage, et le géologue Elie Gagnebin, pour qui tous les
sourciers sont des charlatans !
Malgré leur peu de succès, les
recherches de pétrole dans la plaine de l’Orbe ont continué en 1980 avec le
forage situé entre Suscévaz et Treycovagnes : même à la profondeur de 3'221 mètres, on n’a rien
trouvé (les personnes intéressées par le sujet consulteront avec profit l’étude
de Marc Weidmann de 1991, intitulée « Histoire de la prospection et de l’exploitation des hydrocarbures en
Pays vaudois »).
Et si, pour le moment, malgré
tous les sondages, le pétrole fait défaut, le gaz lui est bien là : le
gazoduc qui traverse ce coin de la commune est mis sous pression le 17 juillet
1974 !
La vente du marais
En 1906, M. Souza de Paris
souhaite acheter le marais ; la Municipalité répond qu’elle est disposée à en vendre
une partie, soit 30 à 40 poses, au prix de 2.50 fr. la perche, soit 1250 fr. la
pose. Cette affaire demeure sans suite.
La SGG (Schweizerische Gemüse Gesellschaft), sise à Chiètres, achète de
grandes surfaces agricoles, souvent dans les régions marécageuses du Seeland,
de la plaine du Rhône et de celle de l’Orbe, pour y développer des cultures maraîchères.
Ainsi, en 1924, elle fait à la
Commune une offre de 550 fr. la pose pour le Grand Marais et
575 fr. pour le Petit Marais et le Marais Neuf. Le 23 juillet 1924, le Conseil
donne son accord pour la vente de 56 hectares, soit 124 poses à 580 fr., avec
location de 1925 à 1930 et entrée en possession au 1er janvier 1930.
Le prix du fermage est fixé à 25 fr. la pose pour les deux premières années, et
à 30 fr. les trois suivantes.
La vente des marais rapporte
71'000 fr., dont il faut déduire 3'000 fr. de gravier pour les chemins : force
est de constater que le prix final est beaucoup plus bas que les propositions
précédentes. Ces 71'000 francs servent à diminuer la dette contractée en 1921 pour
la construction du collège, qui a coûté quelque 340'000 francs.
Les domaines de la SGG sont repris par COOP Suisse,
qui finit par les revendre à la fin du XXème siècle.
Même si notre commune n’est
propriétaire que d’une toute petite partie de la plaine de l’Orbe, elle reste
intéressée à l’avenir de cette région ; on constate que le dossier n’est
pas clos, dossier dans lequel le souci de préserver l’environnement deviendra
sans doute plus important.
Chaque époque a ses
préoccupations dominantes. Parfois il faut échapper aux inondations, parfois il
faut éliminer des zones insalubres propices aux maladies, parfois il faut
disposer de combustible, parfois il faut augmenter la production agricole pour
nourrir la population, parfois il faut conserver des zones de détente riches en
faune et en flore. Au cours des siècles, la plaine de l’Orbe et notre petite
portion de marais ont servi à répondre du mieux possible à ces divers besoins.