Mais pourquoi a disparu une grande part des
vignes de la commune d’Orbe ?
Vers 1890, avec
ses 185 ha de vignes, Orbe figurait parmi les plus importantes communes viticoles de ce canton, mais au fil
des ans, elle n’a conservé que 27 ha soit un petit 15%.
Il faut encore préciser
que pour ces 27 ha restants, 23 ha sont cultivés par les vignerons d’Arnex. Ils sont situés à la Vaux Vully, aux Joncs, aux Pallins
et au Creux de Villars.
Citons aussi un viticulteur
d’Agiez et un d’Orbe. Pascal Michaud qui plus récemment, avec une nouvelle
plantation de 1.5 ha (entre 2012 et 2021) au Creux de Villars, est redevenu le
seul vigneron urbigène !
Les
vignes actuellement propriétés de la commune d’Orbe
Certes la commune d’Orbe
possède encore quelques parchets, mais de petites tailles : 2'018 m2 au
Parc Saint Claude et 2'400 m2 aux Nillones, soit à peine un demi hectare,
confié à un vigneron d’Arnex.
Le vignoble au début du 20 ème siècle
Quand
les vignes arrivaient aux portes de la ville
d’Orbe Collection
Marcel Chevalier
Si nous examinons
la carte Siegfried de notre région en 1892, à cette date-là, nous observons un
vignoble continu qui s’étendait du village d’Arnex jusqu’à Orbe, mais il y
avait aussi des vignes qui occupaient les
pentes situées à l’ouest du Puisoir, tant sur la rive gauche sous Montcherand que
sur la droite de l’Orbe. Ainsi qu’au Creux de Rave.
Au nord de la
carte de 1892 se trouvaient encore de nombreux parchets vignes occupant le nord
de la ville vers la Magnenette, jusqu’aux pentes situées en dessous des mosaïques
de Boscéaz.
Le vignoble de 1892 Le vignoble de 1935
Cette évolution est bien visible en comparant les différentes
cartes de la région, soit celle de 1892 à celle de 1935 et les suivantes.
Entre Arnex et Orbe certains vignobles sont abandonnés et les parcelles de vigne s’effilochent de plus en plus entre le Creux de Villars et la ville d’Orbe, remplacées par d’autres utilisations
Ainsi la parcelle Les Perches (en dessous du Devent) est
devenue une forêt et les parchets du Gravelet et du Champ Bornu sont transformés
en prairies, parfois plus tard en terrains à bâtir près de la ville.
Au printemps 2023 de gros travaux forestiers ont eu lieu sur cette petite forêt.
Le déclin du vignoble
depuis 1885 avec une légère reprise dès 1964
Période Surface Evolution
1886 185 ha
1918 95.4 ha moins 89.6 ha
1935 46 ha moins 49.4 ha
1958 31.8 ha moins 14.2 ha
1964 16.1 ha moins 15.7 ha
1979 24.8 ha plus 8.7 ha de 1968 à 1981 remaniement
2019 26.9 ha plus 2.1 ha
Mais de ce vignoble disparu, il reste encore quelques
vestiges avec d’anciennes capites perdues au milieu des pâturages ou dans
la forêt crée en dessous du Dévent, une forêt qui cache aussi quelques murs de
vigne parmi les arbres.
Anciennes capites de vigne, un peu perdues en forêt ou dans un pâturage
Dans le même bois subsistent encore quelques vieux
murs de vigne.
·
Anciens murs de
vignes recouvertes par une forêt
Les différentes raisons de cette évolution
Ils ne sont malheureusement plus là tous
ces urbigènes qui ont abandonné leur vigne depuis 1900.
Il est donc difficile de déterminer leurs
raisons exactes. Alors tentons d’en déterminer quelques-unes.
De nouvelles maladies attaquent la vigne
L’oïdium dès 1850, le mildiou dès 1885 et
surtout le phylloxéra vers 1890, tout un cortège de nouvelles maladies qu’il a
fallu apprendre à combattre, qui provoquent de nouveaux frais de culture et
souvent de lourdes pertes.
Le développement de nouveaux sites
industriels
Sans pouvoir le prouver, je pense que c’est
surtout l’arrivée de différentes industries à Orbe qui a favorisé la diminution
du nombre de vignerons de cette localité.
Citons :Le Moulin Rod dès 1871
La brasserie
Fertig de 1876
L’usine de Daniel
Peter vers 1899, devenue Peter-Cailler-Kohler, puis Nestlé en 1929
Le pénitencier de
Bochuz vers 1925
La SGG (
Schweizeriche Gemüse Gesellschaf) en 1918 à Chavornay et ailleurs dans la plaine
de l’Orbe
Tous ces nouveaux emplois vont fournir des revenus sans
doute plus intéressants que ceux obtenus par la culture de la vigne.
Les subsides d’arrachage de la
Confédération accentuent la diminution
Le 18 décembre 1953, avec son statut du vin la
Confédération propose des subsides d’arrachage pour la vigne. Entre 30 ct et
1.50 par m2. Certains vignerons d’Orbe vont en profiter. Cette mesure fédérale
va imputer le vignoble d’une dizaine d’hectares et inquiète fort les responsables
de la Coopérative des viticulteurs qui craignent de perdre des membres.
Faible prix du raisin ou du vin vendu
La Gazette de Lausanne du 16 mars 1957 écrit :
’’ Et lorsqu’on interroge ces vignerons,
ils vous disent d’un geste un peu las : Que voulez-vous, voici des années
que la vigne ne rapporte pas ce que l’on y a mis pour la mener à bien et la
main d’œuvre est devenue si rare et si chère ! Les jeunes, plus réalistes
que les anciens ne veulent plus perdre leur temps disent-ils, à s’occuper d’une
culture qui ne couvre pas ses frais d’exploitation. ‘’
Il est vrai que vers 1950, le prix des raisins n’était
pas très haut et dans ses premières années la Cave coopérative d’Orbe crée le
13 juin 1948 va écouler une partie son blanc sous forme de raisins de table et
jus de raisin, son PD également en jus de raisin. Une faible quantité de rouge
du pays sera vinifiée à Bonvillars.
Prix de 1948
Prix de 1950
Raisins de table 75 ct/kg
77
ct/kg
Blancs 56
ct/kg 68 ct/kg
Rouge hybride 45
ct/kg 50 ct/kg
Rouge du pays 70
à 75ct/kg 75 ct/kg
Et avant 1948, les prix étaient encore plus bas, ainsi
en 1922, mon grand-père Emile vendait près de 30'000 litres de vin à la Société
de consommation de la Chaux-de Fonds pour 51.5 ct/litre ! Revendu à fr
1.30 la bouteille.
Du
vin d’Arnex à la Société de consommation de la Chaux-de-Fonds
Les grands propriétaires
Les propriétaires du Dévent possédaient
une importante surface de vignes qu’ils confiaient à des vignerons.
Mais le coût de ces derniers face aux
faibles rendements des ventes de vin va inciter les deux propriétaires à vendre
leurs vignes et à se consacrer au domaine agricole.
Ainsi vers 1930, Paul Potterat vend
ses vignes pour acheter un pâturage. En 1948 M. Duboux vend aussi une dizaine
d’hectares à des vignerons du village d’Arnex. Tous ces parchets sont encore
cultivés.
Le remaniement parcellaire a renversé la
tendance
Le remaniement viticole mis en œuvre de 1968 à 1981 sur les communes d’Orbe et
Arnex a touché 59 ha de vigne et 51 ha
de terre agricoles.
On a ainsi passé de 660 parcelles de vigne à 175, créé
de nouveaux chemins et canalisations pour un montant de fr. 5'667'393 fr. Tous
ces travaux ont grandement facilité les travaux et permis ce léger
développement d’une dizaine d’hectares supplémentaires.
Pour conclure
Comme déjà dit, les diverses raisons des citoyens
d’Orbe d’abandonner cette culture sont multiples et sans doute pas toutes
connues.
Mais les nouvelles maladies, la grêle et
le gel, les faibles rendements économiques des ventes de vin, les subsides
d’arrachage et surtout nouveaux emplois créés dans la localité d’Orbe sont sans
doute les acteurs principaux de cet important déclin.